Presentation

Autour d'une question

Les Textes

Voir plus loin que l'adversaire, créer de nouveaux sentiers

 

 

 

Inventer nous-mêmes notre futur

Hawad

 

 

Propos recueillis en français en novembre 1995.

 

La régression

Nous sommes revenus aujourd'hui à la case départ, comme au début du siècle, quand nos ancêtres devaient faire face à l'ordre colonial français, turc ou italien. Aucune tuerie ne nous fera admettre la légitimité des fusils et des lois qui nous exterminent. En 1990, la jeunesse touarègue, les ishumar, ont pris les armes, ils ont affronté les Etats qui les étranglaient et occupaient leur territoire. Mais dès le début, dans l'exil, leurs chefs, dans les camps d'entraînement militaire, ont été formés pour gommer tout contact avec ceux qui incarnent les valeurs qu'ils voulaient défendre, c'est-à-dire la temujagha, la conscience des Touaregs d'appartenir à une nation qui a un territoire confisqué, des droits niés, une vérité à arracher. Les combattants qui ont pris les armes pour affronter le système qui massacre leurs parents ont même renoncé à leur propre nom. C'est parce que les Etats comme l'Algérie, la Libye, le Niger, le Mali, la France ont trouvé parmi les scolarisés des relais à leur politique. Non, le tableau n'a pas changé. Aujourd'hui nous renvoie à hier.

Le peuple et les combattants de base vivent à présent dans un désarroi total, qui ne vient pas d'une défaite militaire ni d'une défaite politique, car sur le plan politique, il n'y a pas eu de lutte ni de résistance de la part de ce qu'on appelle la rébellion. Aucune politique. On a juste l'impression qu'ils étaient poussés par cette douleur, par cette inspiration commune à tous les Touaregs : faire quelque chose pour repousser ce monstre des Etats qui les broie. Alors nous voici aujourd'hui, nous les Touaregs, devant cette défaite qui n'est pas la défaite, c'est-à-dire une lutte dès le début détournée par la Libye et l'Algérie, et maintenant par les sous-traitants de la France, le Mali et le Niger. Que ce soit dans les camps de réfugiés, à l'intérieur du pays, dans ses vallées ou dans le maquis, le peuple crie à la trahison, au détournement de ce qui fait sens pour lui, c'est-à-dire la liberté d'exister et de se gérer sur son territoire.

Certains d'entre nous pensent que cette situation, même si elle est terrible, est préférable à celle d'une lutte qui nous mène à la mort sans être conduite au nom des valeurs pour lesquelles nous sommes prêts à mourir. Les choses commencent à retrouver leur place. D'un côté, il y a les collaborateurs à l'école de leur maîtres, les valets du système qui nous opprime et nous tue, ceux qui, par le biais de Paris, ont pu détourner le sens de la résistance touarègue pour transformer le désert et le Sahel en circuit de safari. Ces hommes n'ont aucune politique ni pour le peuple touareg ni pour eux mêmes - ils ne défendent même pas les intérêts de leur ventre pour lequel ils courent - ni pour ces Etats. De l'autre côté, trébuche le peuple touareg qui bien qu'anéanti n'a pas encore perdu le cap de son idéal ni le rêve d'être libre demain. La question est de comment retrouver le sentier qui conduit vers cet idéal pour l'instant inaccessible dont la cible pourtant est encore dans la visière de l'il touareg.

Nous sommes convaincus qu'on va continuer à nous massacrer dans le silence. Rien n'a changé, mais c'est de là que nous devons puiser notre force, car l'adversaire n'a aucun autre projet que le feu et la chasse pour nous ligoter le cou sur les genoux. Nous préférons encore cette exclusion à l'époque où on nous jouait la mascarade des singes qui soi-disant nous représentent. En même temps, les années qui viennent, pour les personnes qui ont besoin de solutions faciles et rapides, vont être difficiles.

 

L'autonomie de pensée

Il ne faut compter que sur nous-mêmes et sur notre désir de transformer la mort en vie. La première autonomie que nous revendiquons, nous ne la réclamons ni à l'Algérie, ni à la Libye, ni au Niger, ni au Mali et ni à leur maître la France, nous l'exigeons de nous-mêmes : c'est l'autonomie de pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir. Nous sommes obligés d'y revenir car l'oppresseur n'a aucun projet ni pour nous ni pour lui.

Je ne dis pas qu'il faut se déconnecter du monde, mais il est nécessaire de se brancher à notre propre centrale de pensée.

Une société qui ne fabrique plus ses idées, ni sa culture, ni son propre regard, c'est la banlieue exclue du centre. Pour moi le centre, c'est comme un sens giratoire qui tourne sur lui-même pour fabriquer son énergie. Or, le centre d'aujourd'hui n'est plus le centre : il devient sa propre banlieue. Pour être centre, il faut qu'il y ait convergence des axes, des arrivées et des départs : il n'y en a pas. Nous, on nous a exclus ; en Afrique, les Etats font exiler tout le monde sauf la bureaucratie, l'administration et la langue de bois. Nous, les Touaregs et les autres peuples, sommes devenus des banlieusards.

Il faut faire de ces banlieues des centres et oublier ce centre qui n'est pas un centre : c'est la seule chose qui me donne de la force. Les jeunes qui ont accepté de poser les armes, comme un troupeau de moutons, ont constaté que pas plus Bamako que Niamey n'était un centre où on pouvait trouver à se nourrir ; il y avait un terroriste appelé FMI et la bouche béante des Etats agglutinés dans le vide.

Il faut inventer des axes indépendants et faire de notre marginalisation et de notre exclusion par les Etats le point de départ de nouvelles routes. C'est notre seul salut.


Un centre, carrefour pour tous les peuples

Le pseudo-centre, comme un furoncle sur la gale des pauvres dos africains, s'est retrouvé pareil à un campement abandonné, car son action essentielle est d'exclure. On arrive au stade où les exclus, ayant perdu tout espoir de revenir un jour au centre, rompent avec lui. Un autre centre va se dessiner devant eux : nous voulons que ce nouveau centre soit un miroir pour tous les peuples, et pas seulement celui d'un seul peuple. Il faut un centre différent de celui qui les a exclus et s'exclut lui-même car il n'est plus capable de créer son propre dynamisme, même plus capable de nourrir ses perroquets. Ce centre d'un autre type se trouve en avant de la marche, vers les territoires inconnus et en friche, au-delà des frontières artificielles et des modèles technocratiques. Il faut l'inventer et seuls les peuples des marges du monde, eux qui sont éperonnés par la douleur, sont aptes à ce cheminement et à cette transition car eux-mêmes représentent les angles à assembler dans ce nouveau centre-carrefour.

Le problème se pose pour tous les peuples africains face à cet Etat qui n'est pas africain et n'a pas été créé pour les intérêts des peuples africains. Plus on nous soumet, plus on nous empêche de créer des systèmes alternatifs, plus le problème devient un problème commun. En fait, il l'était dès le début, mais nous n'avons pas trouvé de complicité auprès des peuples qui souffrent.

Nous, nous voulons vivre avec les autres. Mais à part des oppresseurs, nous n'avons pas vu pour l'instant de vrais acteurs prêts à jouer un théâtre neuf qui échappe aux scènes usées. Nos voisins meurent de faim comme nous. Il n'y a sur scène que des Etats fantômes. La solution est la disparition de ces faux interlocuteurs pour que vivent nos vrais voisins et qu'ils se réveillent au lieu d'être utilisés pour nous massacrer afin qu'ils oublient la peste qui les ronge eux aussi. Nous n'avons plus de voisins, plus de compagnons, plus d'alter ego.

Il faut déstabiliser la pyramide d'en haut. Le pouvoir est devenu un butin qui enrichit certains et affame la majorité de la population africaine, il faut le distribuer, l'arracher à ceux qui s'en sont emparés au nom de l'Etat-nation et maintiennent ce privilège à l'aide de l'armée. Il faut que les nations africaines, les peuples de ces pays, exigent sa redistribution, s'en emparent, car jamais ceux qui ont confisqué ces richesses ne les leur restitueront. On a volé les biens de l'Afrique.

On va bientôt se retrouver avec nos vrais frères : un Jerma ou un Bambara que le FMI a mis au chômage, qui meurt de faim comme moi et qui lutte pour essayer de renverser le système qui a permis cela, voilà mon frère, mais pas ces Nigériens, Maliens, Algériens ou mon propre frère qui avec son arme veut me faire appliquer un système qui le détruit lui-même et dont il n'est que le gendarme ou le rabatteur pour nous faire égorger par lui.

S'il y a d'autres Africains qui pensent cela, nous les appelons à faire la route avec nous, à débattre, à trouver une solution pour toute l'Afrique, car c'est l'Afrique entière qui a besoin de solution.

 

Des Etats qui s'étranglent eux-mêmes

Économiquement, personne ne nous nourrit aujourd'hui. Nous, cela fait longtemps que les frontières des Etats nous ont étranglés, mais aujourd'hui ce sont les Etats eux-mêmes qui sont étranglés par leurs propres frontières.

L'ennemi détruit sa propre logique. Maintenant on en est au stade où tout est cassé, mais c'est là que va se faire notre liberté. Il n'y a plus rien à voler chez nous. Le système colonial n'a plus rien à se mettre sous la dent.

Nous sommes aidés par la manière dont l'adversaire, les Etats, nous bouchent toutes les portes de sortie. On va quitter ces enclos où ils ont fait de nous des loups enragés pour qu'on se mange nous-mêmes. Notre corps n'a plus de chair à donner. Cela ne sert plus à rien aujourd'hui de vendre ses frères pour avoir un poste de ministre. Les fonctionnaires à Bamako, à Niamey, à Alger ne sont pas payés.

Il y aura des mendiants chez nous mais plus de vrais collaborateurs actifs.

Le pacte, qu'est-ce que c'est ? Du folklore. Il n'a pas de contenu. Les gens qui l'ont signé, on leur a tordu le bras avant qu'ils ne signent. Ils n'ont plus foi en rien et ne connaissent que le mépris de soi et des autres.

Pour moi, un pacte de paix est un accord entre deux parties liées par l'entente et le respect mutuel : qu'est-ce qu'ils ont respecté chez nous du moment où ils nous éventrent ? Qui peut-on tromper avec cela ? Comment un pacte est-il possible entre l'hyène et le lapin ?

C'est comme les experts français qui veulent nous faire admettre que nous ne sommes pas une nation, que nous ne sommes pas un peuple, que nous n'avons jamais existé Le jour où on nous le fera admettre, nous ne serons plus nous-mêmes. C'est nos fantômes qui l'admettront. N'est-ce pas risible que ceux qui se prennent pour les détenteurs de la vérité et de la raison commencent à dialoguer avec des fantômes ?

Le jour où il n'y aura plus de diable touareg, il y aura le diable songhay ou haoussa. Le jour où les Touaregs qu'ils appellent blancs auront disparu, ce sont les Touaregs noirs - que les Etats cherchent à enrôler dans leur idéologie négrafricaniste - qui serviront d'alibi. Il ne faut pas être aimable avec ces pouvoirs carnassiers et gloutons qui ont besoin d'un bouc émissaire pour conquérir, massacrer, manger et roter sur les cendres.


Les relais du système

Les "représentants" des fronts armés n'ont rien changé : ils ont confirmé les Touaregs dans leur conviction que chaque fois qu'on se laisse manipuler, on n'est rien. C'est une foudre qui à nouveau nous frappe comme au moment de la colonisation. Les scolarisés comme les auxiliaires d'hier sont le relais des systèmes oppressifs qui nous colonisent, encore et toujours. En plus, le système ne les utilise même pas comme des clous, mais comme des pantins qu'ils jettent, dès qu'ils commencent à tirer sur les ficelles. C'est une leçon jusqu'à la face pâle du désespoir, une leçon de philosophie que nous avions déjà. Et ceux qui parlent en leur nom ou les orchestrent ou les conseillent, les experts, pour nous, ne parlent que la langue des officiers coloniaux de l'époque.

Aux piliers de la République du Niger, je réponds que dans l'Aïr ma région, il n'y a pas un seul tracteur pour labourer le sol afin de semer l'orge et le blé sous les palmiers et les figuiers, non, pas un seul tracteur mais des centaines de chars et de voitures tout -terrain bourrées de soldats à l'affût. Et il n'y a pas un seul jardin de l'Aïr qui est arrosé par un moteur ; ils le sont par les ânes, les bufs et les chameaux. Je ne crois pas que ce soit le ministère de la coopération française qui ait fourni aux Touaregs ces ânes ou ces chameaux. Quant aux routes, il n'y en a qu'une qui sert à acheminer l'uranium vers la métropole. Peut-être ont-ils fabriqué des routes invisibles pour les Kel essuf , mais nous nous ne les avons pas vues !

A tous ceux qui raccourcissent notre mal en un simple problème de sous-développement et d'archaïsme, nous rappelons à leur vanité aveugle que la plus grande partie du pétrole et de l'uranium qui engraissent Alger, Tripoli, Niamey et leurs partenaires, sont extraits du Sahara touareg, notre pays où ces richesses reviennent sous la forme d'armées d'apocalypse qui nous plongent dans une misère et une agonie sans fin.

La solution n'est pas dans l'attente, elle est dans la résistance. Elle tourne le dos à tout. Elle est dans les banlieues sans plus de regard en direction de ce centre vers lequel ces pseudo-chefs de front sont tournés ; elle est orientée vers un autre rêve, le rêve de notre peuple d'être un jour libre, de pouvoir vivre dans la dignité sur un sol qu'il appelle sa terre. Eux, ils pensent qu'il est possible qu'une brèche s'ouvre. Ils n'ont besoin d'aucun centre. Leur résistance, leur endurance et l'esprit qui les anime, ils les dévident d'eux-mêmes, de ce qu'ils étaient, de ce qu'ils sont et de ce qu'ils veulent être.

Les combattants de base se sont trompés. Ils pensaient que les imushéten luttaient comme eux pour la libération de leur nation. Ils attendent. Ils leur ont dit qu'on a abouti à une autonomie. Mais nous, maintenant, nous ne comptons plus sur les combattants. Nous comptons sur de futurs combattants, c'est-à-dire sur nous-mêmes, sur ce que notre regard est capable de fabriquer et d'imaginer au-delà de ce chaos.

Il faut tisser une nouvelle trame à partir de nos propre fibres, les vieilles fibres usées de la trame touarègue. Il faut tisser, il faut marcher de l'avant. Du moment qu'on se lève pour tisser et qu'on se met à l'uvre, la trame est déjà tissée. C'est cela qui nous intéresse et c'est cela qu'exige le peuple touareg aujourd'hui.

 

Les nouveaux féodaux

Il n'y a plus de classes hiérarchiques à présent chez les Touaregs. La nouvelle classe, c'est la France qui l'a créée avec le tourisme et les mercenaires touaregs qui s'enrichissent. Les autres sont tous nivelés et égalisés par la misère et la mort.

La différence, aujourd'hui, c'est que les nouveaux féodaux n'ont ni la morale ni le paternalisme des anciens, ils sont rapaces et avides, capables de tout ruiner pour rester les seuls détenteurs du pouvoir et des richesses.

La rébellion n'a pas eu la capacité de fournir ses propres idées, son originalité. Pour nous, la révolution ne se réduit pas à mettre au sommet ceux qui sont en bas et à faire descendre ceux qui sont en haut. C'est de nouvelles idées et la capacité d'en inventer sans obligatoirement singer les autres. Ils confondent aujourd'hui révolte et révolution. La lutte armée favorise la révolution mais elle n'est pas en elle-même révolution. Nous, nous voulions que la lutte militaire devienne comme une école de la prise en charge de soi-même. Mais ils ont refusé. Ils ont dit pourquoi raccommoder nos chiffons puisqu'on peut trouver du tissu déjà tissé ailleurs. Nous, nous voulions une véritable remise en cause de soi-même.

Aucun peuple n'a jamais vécu en autarcie. L'autonomie, c'est de fabriquer ce dont on a besoin, importer ce qu'on n'a pas et renoncer à l'inutile. Flexibilité et nomadisme, voilà la liberté d'action que nous revendiquons. Il n'y a pas d'autonomie matérielle mais l'indépendance d'esprit est nécessaire. On a besoin par exemple de la radio pour écouter les informations mondiales, mais on a encore plus besoin de l'autonomie de l'oreille pour écouter la radio. Et celui qui fabrique la radio a aussi besoin de moi pour que je la lui achète, il n'est pas autonome non plus.

 

S'ouvrir au monde

Le seul courant que je peux appeler aujourd'hui courant politique est celui qui défend l'idée d'une nation touarègue autonome, libre de rester chez elle dans son pays et de s'ouvrir au monde. L'idée est que les peuples doivent être de vrais acteurs.

La meilleure chose, nous l'avons dit, c'est le fédéralisme, mais nous pensons, pour certains d'entre nous, qu'il ne faut pas se contenter de fédérer les Touaregs avec l'Etat où ils sont mais de fédérer toutes ces régions saharo-sahéliennes qui ont en commun une géographie, une culture, une économie à condition de ne pas les transformer en un Etat qui exclue et étouffe. Chaque communauté posséderait son propre conseil libre de se fédérer avec celui des autres.

Ce qu'il faut qu'on évite absolument, c'est cette main horrible du père Etat sans âme, sans cur, qui a tout empaqueté dans une seule logique. Il faut décrisper ce poing fermé du père, il faut le briser pour que les choses bougent. Evidemment, pour qu'elles se mettent en route, il faut fabriquer des gens qui circulent, des nomades, créer des flux libres, mais avec des étapes.

En fait, il n'y a pas de différence véritable entre les Etats qu'ils soient algérien, nigérien, malien, c'est la même logique anti-unité, l'unité dans le sens où on se met coude à coude pour travailler. Non, eux, c'est plutôt de la malaxation pour fabriquer une unité nationale par la force. Nous, nous ne participons à la construction nationale d'aucun de ces Etats, sauf par les impôts qu'on nous oblige à payer et par le fait qu'on nous sacrifie sur l'autel de ces Etats-nations qui n'existent pas. De toute façon, le dieu Etat aura bientôt besoin de poules plus grasses, cela ne va pas durer longtemps Nos poules, c'est-à-dire nos combattants et notre peuple, sont trop maigres pour l'instant.

Le système africain autrefois était plus efficace que le système occidental de l'Etat-nation. Nous, notre mode de gestion de la société est fondé sur la représentation des groupes à tous les niveaux par des assemblées qui s'articulent autour de fonctions d'arbitrage.

Un grand parlement auquel nous, les Touaregs, nous prendrions part, pourrait réunir tous les Sahéliens et les Sahariens. Il faut fédérer toute cette Afrique des déserts qui a aujourd'hui trois traits en commun : l'écologie, la pauvreté, la proximité culturelle. Il faut redistribuer les pouvoirs du haut vers le bas, en recréant des représentants véritables et légitimes des communautés qui habitent ces pays et non des Etats qui les divisent et les exterminent. Aujourd'hui nous n'avons que des soldats et des tirailleurs. Et les héritiers de la France et du droit de cuissage ne sont prêts à aucun changement.

Nous ne mettons en cause aucune nation africaine mais par contre ce sont les Etats que nous mettons en cause.

La résistance touarègue fait peur aujourd'hui. Pourtant nous ne voulons pas prendre le pouvoir à Niamey ni à Bamako, ni à Alger. Nous voulons être Touaregs au Sahara central et travailler avec les Arabes d'Alger, les Jerma de Niamey

Au contraire de ceux qui cherchent, en faisant un coup d'Etat, à s'emparer des crédits de la coopération, nous ne voulons pas nous servir de la République du Niger ou du Mali comme d'un vase à traire, non, nous voulons qu'il y ait des Jerma, des Haoussa, des Bambara, mais pas comme les détenteurs du système central.

Nous, c'est le système colonial que nous mettons en cause et ces micro-Etats centralisés qui rackettent le peuple.

Cet Etat héritier du système colonial a échoué. Et peut-être va-t-on en faire d'autres qui seront encore plus monstrueux. Il faut réagir.


Voir plus loin que l'adversaire

Les vrais résistants qui ont un projet de société et rêvent d'une paix pour tous ­ souvent plus engagés que ceux qui tirent des balles ­, je les ai trouvés en exil ou au pays : ce sont des gens qui voient plus loin que leur adversaire et cherchent une solution pas seulement pour eux mais pour tous ceux qui vivent ce chaos.

La résistance du peuple touareg en ce crépuscule est faite de la souffrance et du désarroi d'un peuple acculé, encerclé, minorisé et affaibli, qui se sent seul. Comment glisser entre les mailles de feu qui quotidiennement le harcèlent ? Comment protéger les civils qui n'ont d'abris que la famine et la mort dans les camps gardés par l'armée le long de la frontière entre l'Algérie et le Mali et Niger, des camps d'où on ne peut sortir et où on ne peut vivre ? Pour résister malgré l'éclipse qui nous submerge, il faut appuyer notre regard sur la mémoire, sur une petite étincelle de notre esprit qui refuse leur incendie, et imaginer un projet qui surpasse celui de l'adversaire.

Imaginons une pauvre vieille femme juive au fond d'un four crématoire qui adopte la logique de Hitler. C'est impossible. C'est pourquoi cette vieille juive, qui est aujourd'hui ma mère, il ne faut pas qu'elle se dise qu'elle est au fond du gouffre et que c'est naturel qu'elle y soit, mais plutôt qu'elle imagine comment ses ancêtres ont réussi à échapper à la dictature de Pharaon

Le modèle politique dominant est actuellement celui de l'Etat-nation-territoire. Nous n'en voulons pas mais, pour l'instant, pour exister il faut avoir un Etat. Je reçois un coup de poing, j'en rends un. Si les Africains retrouvent la raison, il faut faire une Afrique des nations qui se fédèrent si elles le veulent bien. Pour moi la nation, ce sont des gens qui se reconnaissent une culture commune, des intérêts communs et l'envie de rester ensemble.

Nous, les Touaregs, nous cherchons aujourd'hui un interlocuteur, même ennemi, mais interlocuteur. Evidemment, nous préférons un frère qui discute avec nous avec des idées originales, mais pas un rabatteur qui nous ramène au moule pour nous y comprimer à l'intérieur.

Nous allons résister et marcher, même si nous marchons en vrille comme le font les âmes blessées. Et nous appelons tous les hommes et les femmes du monde et en particulier de l'Afrique, proche de nous, à venir nous rejoindre et à marcher avec nous, à débattre librement pour élargir le sens étriqué de toutes ces notions d'Etat, de nation, de frontière, de fédéralisme Ne laissons pas l'Afrique de demain aux experts, aux compagnies pétrolières et aux ONG, avec leurs barbelés et leurs cloisonnements, car aucun peuple ne résistera à leurs appétits.

 

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