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Autour d'une question

Les Textes

 

 

 

 

Sortir du tunnel pour voir et être vu

Sidalamin

 

 

Propos recueillis en français par Hawad en février 1995 au Burkina Faso.

Sidalamin est originaire de l'Adagh et a été scolarisé au Mali. Il a une trentaine d'années.

 

Aucune lutte ne se mène inutilement

On a été un peuple qui d'abord a été révolutionnaire et puis il s'est replié sur lui-même. Et maintenant, extraordinairement, en peu de temps, c'est comme une coquille qui est en train de s'ouvrir, mais avec violence ; donc cette coquille est en train d'exploser. C'est pourquoi, moi, je ne condamne personne. J'observe et je trouve que tous ceux qui luttent, même s'ils font des bêtises, font avancer la cause. J'ai des parents et amis dans les fronts ; je vois leur manière un peu mesquine de gérer les choses, de voir l'avenir, de construire, mais je pense qu'avoir plusieurs fronts parallèles est aussi une façon de lutter pour cette cause. Tout cela, il faut que ça avance et un jour, ça va se mettre en place et ça formera une société extraordinaire qui est passée par tous les stades de la lutte.

Je pense que tous les ennemis de la cause actuellement sont en train de lutter pour la cause sans le vouloir. Ceux de l'extérieur et même ceux qu'ils utilisent à l'intérieur sont en train de lutter pour la cause. Parce que dans un passé très récent, les gens ne réfléchissaient pas à certaines choses. Tandis qu'il y a des revirements, des traîtres, alors les gens se posent certaines questions. Pour qu'ils sachent qu'il n'y a pas seulement la survie en jeu mais aussi des intérêts énormes que cette société-là doit combattre Et cette anarchie devient utile parce que si le courant était unique, on aurait déjà trouvé une solution pour nous abattre.

Je pense qu'aucune lutte ne se mène inutilement. Il y aura des conséquences à long, moyen ou court terme. Je sais que malheureusement l'horizon est obscur, presque bouché, mais je pense que quand un peuple, dans toutes ses générations, a une pensée nouvelle, c'est comme s'il sortait d'un tunnel Quand on sort au grand jour, on se fait voir et on voit.

 

S'adapter aux temps actuels

Pour résister, les Touaregs se sont repliés sur eux-mêmes Je pense qu'aujourd'hui, la force que notre peuple doit puiser à l'intérieur de lui-même, c'est de refuser de continuer son hibernation. Donc il faut qu'il ait un réveil parce que les temps ont changé et que le monde sera bientôt un gros village planétaire ; il faut que cette nation évolue pour qu'elle ne soit pas dans ce gros village la bête à abattre.

Elle doit trouver en elle-même la force de s'adapter à l'époque et à la philosophie des temps actuels.

L'adaptation dans ce sens, c'est faire en sorte que ce peuple puisse se soigner, puisse produire lui-même, se nourrir, qu'il devienne autosuffisant ; il faut pour cela une grande évolution de la mentalité que nous avions adoptée comme stratégie à une époque. Cette époque est dépassée. Maintenant pour s'adapter, il faut avoir plutôt une philosophie agressive dans tous les sens, provoquer et attirer sur soi les phares de l'humanité, qu'on sache qu'il y a des gens qui ont souffert dans cette vie-là, qui souffrent et qui souffriront encore vingt ou trente ans et qui ont droit un jour à ce que leurs plaies soient soignées.

 

Voir et être vu par des yeux nouveaux

Il faut que ce monde extérieur porte un regard nouveau sur nous et se pose des questions. Pourquoi est-ce que cette solution n'a pas marché ? Pourquoi est-ce que, malgré les moyens fournis, telle politique a échoué ? Cela n'a pas échoué pour rien. C'était ou parce que la politique n'était pas bonne, ou parce qu'elle a trouvé un corps politique suffisamment résistant pour que la greffe ne prenne pas.

Nous, nous devons accepter de voir le monde avec des yeux nouveaux et le monde lui aussi doit nous regarder différemment. Même les anthropologues, les sociologues, les géographes, les historiens les plus réputés, ceux qui ont la plus grosse valise de diplômes, n'arrivent pas à se départir de cette image des Touaregs brigands, esclavagistes, le Touareg qui est l'homme méchant par définition. Il faut qu'ils voient en nous un peuple civilisé qui a été esclavagiste à un moment de l'histoire : les Touaregs l'étaient parce que les Noirs qui s'en plaignent participaient à l'esclavagisme et les Arabes leurs voisins étaient des esclavagistes ; ils ont été esclavagistes à une échelle infiniment moindre que les Noirs, les Arabes et les Européens.


La différence est une richesse

Je crois que toute société porte en son sein un projet. La société touarègue, malgré les problèmes auxquels elle est confrontée, n'a pas complètement échoué comme les autres sociétés. Tu vois ses voisins immédiats, à 90 % ils sont en train de singer l'Occident

La société touarègue, son projet de société ancien n'a pas échoué. Mais je crois qu'il faut lui apporter des corrections.

C'est un modèle humain, qui donne le droit à tout homme d'avoir une dignité, de vivre libre Les Touaregs ont toujours côtoyé d'autres populations, d'autres sociétés, et malgré la force qu'ils avaient à l'époque, ils n'ont pas voulu dire aux gens : "hé vous, votre culture est inférieure, il faut adopter la nôtre"

C'est une société qui pense que toute chose qui est sur cette terre a une utilité, de l'infiniment grand à l'infiniment petit, tous ont un rôle à jouer dans cet univers. Cela, c'est sa force, c'est une manière de penser des Touaregs. Ils pensent que la différence est une richesse et non un handicap.

Quand quelqu'un fait semblant de t'ignorer ou essaie de te regarder à travers une loupe déformante, il faut casser cette loupe ou lui donner une claque pour qu'il te regarde et dise : "Mais tiens, il y a quelqu'un à côté." Donc, pour moi il faut que le monde ait un nouveau regard sur cette société. Ce qui est aberrant, c'est que même les "intellectuels" de l'Afrique n'ont pas compris cette société. Les docteurs, les licenciés pensent pire que les associations villageoises. Les paysans Bambara sont davantage capables de comprendre cette société que les intellectuels. Nos intellectuels, au lieu de mettre la lumière et d'aider les gens à mieux réfléchir, les mettent dans l'obscurité et dans la haine. Ils attisent le côté animal et ignoble de l'homme.

 

Un pont entre le Nord et le Sud

Quelque chose d'extraordinaire m'a frappé Des gens qui ont tout le bagage intellectuel utile comme les fonctionnaires maliens, nigériens, africains ne comprennent pas qu'il faut un pont entre l'Afrique noire et l'Afrique du Nord. Et ce pont-là ne peut être que touareg ; c'est lui seul qui se sent aussi bien au Sud qu'au Nord. Je ne crois pas qu'en l'effaçant de la carte, on résoudra le problème. Car le problème est celui du découpage des frontières et ce n'est pas les Touaregs seulement qu'il pénalise ; il pénalise même les Noirs : les Songhay de Gao ont leurs cousins à Say ; les Djoula de Sikasso ont leurs cousins à Ferkedessougou en Côte-d'Ivoire ; les Baoulé ont leurs cousins au Ghana. Je pense que tôt ou tard, l'Afrique comprendra que les tracés des frontières étaient une chose diabolique et qu'ils étaient faits à une époque où la France était aveuglée par son ignorance et son souci d'invasion et de colonisation. Il faut maintenant une intégration africaine, donc il faut que ces frontières disparaissent et au grand ensemble du Sud auquel s'oppose le grand ensemble du Nord, il faut au centre, un grand Sahara. Ce grand espace qui ne peut être vivable que pour ses habitants ne doit pas être un vide ni une frontière mais être un pont, un trait d'union.

 

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